IV. Les Espaces Vectoriels
Après avoir exploré les vecteurs et les ensembles, nous pouvons maintenant aborder une structure mathématique plus générale qui intègre ces deux concepts : les espaces vectoriels. Les espaces vectoriels sont fondamentaux en mathématiques, car ils permettent de généraliser la notion de vecteur à des dimensions supérieures et à des contextes plus abstraits. Ils sont essentiels pour comprendre et manipuler des systèmes en mécanique, en robotique, en physique, et en mathématiques pures.
1. Définition d’un Espace Vectoriel
Un espace vectoriel \( V \) sur un corps \( \mathbb{K} \) est un ensemble non vide muni de deux opérations :
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Addition vectorielle : Une opération \( + : V \times V \rightarrow V \) qui, à deux vecteurs \( \vec{u} \) et \( \vec{v} \) de \( V \), associe un vecteur \( \vec{u} + \vec{v} \) également dans \( V \).
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Multiplication par un scalaire : Une opération \( \cdot : \mathbb{K} \times V \rightarrow V \) qui, à un scalaire \( \alpha \in \mathbb{K} \) et à un vecteur \( \vec{v} \in V \), associe un vecteur \( \alpha \vec{v} \) dans \( V \).
Ces opérations doivent satisfaire les huit axiomes suivants :
1.1 Axiomes de l’Addition Vectorielle
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Associativité de l’addition : [ \forall \vec{u}, \vec{v}, \vec{w} \in V, \quad (\vec{u} + \vec{v}) + \vec{w} = \vec{u} + (\vec{v} + \vec{w}) ]
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Commutativité de l’addition : [ \forall \vec{u}, \vec{v} \in V, \quad \vec{u} + \vec{v} = \vec{v} + \vec{u} ]
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Élément neutre de l’addition : [ \exists \vec{0} \in V, \quad \forall \vec{v} \in V, \quad \vec{v} + \vec{0} = \vec{v} ]
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Inverse additif : [ \forall \vec{v} \in V, \quad \exists (-\vec{v}) \in V, \quad \vec{v} + (-\vec{v}) = \vec{0} ]
1.2 Axiomes de la Multiplication par un Scalaire
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Compatibilité de la multiplication par un scalaire : [ \forall \alpha, \beta \in \mathbb{K}, \ \forall \vec{v} \in V, \quad (\alpha \beta) \vec{v} = \alpha (\beta \vec{v}) ]
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Élément neutre pour la multiplication scalaire : [ \forall \vec{v} \in V, \quad 1_{\mathbb{K}} \vec{v} = \vec{v} ] où \( 1_{\mathbb{K}} \) est l’élément neutre multiplicatif de \( \mathbb{K} \).
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Distributivité de la multiplication par un scalaire par rapport à l’addition vectorielle : [ \forall \alpha \in \mathbb{K}, \ \forall \vec{u}, \vec{v} \in V, \quad \alpha (\vec{u} + \vec{v}) = \alpha \vec{u} + \alpha \vec{v} ]
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Distributivité de la multiplication par un scalaire par rapport à l’addition scalaire : [ \forall \alpha, \beta \in \mathbb{K}, \ \forall \vec{v} \in V, \quad (\alpha + \beta) \vec{v} = \alpha \vec{v} + \beta \vec{v} ]
Ces axiomes garantissent que les opérations d’addition et de multiplication sont bien définies et cohérentes, permettant de manipuler les vecteurs de manière algébrique.
Conseil
Les espaces vectoriels vous permettent de manipuler des systèmes complexes avec des règles simples, unifiant les opérations sur les vecteurs dans un cadre cohérent.
2. Exemples d’Espaces Vectoriels
2.1 L’Espace \( \mathbb{K}^n \)
L’espace \( \mathbb{K}^n \) est l’ensemble des \( n \)-uplets de scalaires de \( \mathbb{K} \) :
Opérations :
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Addition : [ (x_1, \dots, x_n) + (y_1, \dots, y_n) = (x_1 + y_1, \dots, x_n + y_n) ]
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Multiplication par un scalaire : [ \alpha (x_1, \dots, x_n) = (\alpha x_1, \dots, \alpha x_n) ]
Cet espace respecte tous les axiomes des espaces vectoriels. Il est largement utilisé en algèbre linéaire et en géométrie analytique.
2.2 L’Espace des Polynômes \( \mathbb{K}[X] \)
L’ensemble des polynômes à coefficients dans \( \mathbb{K} \) est un espace vectoriel.
Opérations :
- Addition : La somme de deux polynômes est un polynôme obtenu en additionnant les coefficients correspondants.
- Multiplication par un scalaire : Multiplier chaque coefficient du polynôme par le scalaire.
2.3 L’Espace des Fonctions Continues
L’ensemble \( C([a, b], \mathbb{K}) \) des fonctions continues de \( [a, b] \) dans \( \mathbb{K} \) est un espace vectoriel.
Opérations :
- Addition : \( (f + g)(x) = f(x) + g(x) \)
- Multiplication par un scalaire : \( (\alpha f)(x) = \alpha f(x) \)
3. Sous-Espaces Vectoriels
Un sous-espace vectoriel \( W \) de \( V \) est une partie non vide de \( V \) qui est elle-même un espace vectoriel pour les mêmes opérations.
Conditions pour être un sous-espace :
- Non-vide : \( W \neq \emptyset \).
- Stabilité par addition : \( \forall \vec{u}, \vec{v} \in W, \ \vec{u} + \vec{v} \in W \).
- Stabilité par multiplication scalaire : \( \forall \alpha \in \mathbb{K}, \ \forall \vec{v} \in W, \ \alpha \vec{v} \in W \).
Exemple
Dans \( \mathbb{R}^3 \), l’ensemble des vecteurs de la forme \( (x, y, 0) \) est un sous-espace vectoriel correspondant au plan \( z = 0 \).
4. Combinaisons Linéaires et Engendrement
4.1 Combinaisons Linéaires
Une combinaison linéaire de vecteurs \( \vec{v}_1, \dots, \vec{v}_k \) est un vecteur de la forme :
où \( \alpha_i \in \mathbb{K} \).
4.2 Sous-Espace Engendré
Le sous-espace engendré par \( \vec{v}_1, \dots, \vec{v}_k \) est l’ensemble de toutes les combinaisons linéaires de ces vecteurs, noté \( \text{Vect}(\vec{v}_1, \dots, \vec{v}_k) \).
5. Indépendance Linéaire, Bases et Dimension
5.1 Indépendance Linéaire
Des vecteurs \( \vec{v}_1, \dots, \vec{v}_k \) sont linéairement indépendants si la relation :
implique que \( \alpha_1 = \alpha_2 = \dots = \alpha_k = 0 \).
5.2 Bases
Une base de \( V \) est un ensemble de vecteurs linéairement indépendants qui engendrent \( V \). Dans ce cas, tout vecteur \( \vec{v} \in V \) s’écrit de manière unique comme une combinaison linéaire des vecteurs de la base.
5.3 Dimension
La dimension de \( V \), notée \( \dim(V) \), est le nombre de vecteurs dans une base de \( V \). Tous les espaces vectoriels de même dimension sur un corps \( \mathbb{K} \) sont isomorphes.
6. Applications Linéaires
Une application linéaire \( f : V \rightarrow W \) entre deux espaces vectoriels sur le même corps \( \mathbb{K} \) est une fonction telle que :
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Additivité : [ \forall \vec{u}, \vec{v} \in V, \quad f(\vec{u} + \vec{v}) = f(\vec{u}) + f(\vec{v}) ]
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Homogénéité : [ \forall \alpha \in \mathbb{K}, \ \forall \vec{v} \in V, \quad f(\alpha \vec{v}) = \alpha f(\vec{v}) ]
Les applications linéaires sont essentielles pour comprendre les transformations entre espaces vectoriels et sont étroitement liées aux matrices.
7. Transition vers les Matrices et les Transformations Linéaires
En choisissant des bases pour \( V \) et \( W \), une application linéaire \( f : V \rightarrow W \) peut être représentée par une matrice. Cette représentation matricielle permet de passer du cadre abstrait des espaces vectoriels aux calculs concrets.
7.1 Matrices Associées aux Applications Linéaires
Si \( \{ \vec{e}_1, \dots, \vec{e}_n \} \) est une base de \( V \) et \( \{ \vec{f}_1, \dots, \vec{f}_m \} \) une base de \( W \), alors l’application linéaire \( f \) est entièrement déterminée par les images des vecteurs de base :
La matrice \( A = (a_{ij}) \) est la matrice de \( f \) dans ces bases.
7.2 Importance des Matrices
Les matrices permettent de :
- Calculer facilement les images des vecteurs.
- Composer des applications linéaires en multipliant des matrices.
- Étudier les propriétés des applications linéaires (injectivité, surjectivité, bijectivité) via les matrices.
Conclusion
Les espaces vectoriels constituent un cadre essentiel pour l’étude des mathématiques modernes. Ils permettent de généraliser les concepts de vecteurs à des structures plus abstraites et de développer des outils puissants pour analyser des systèmes complexes.
En comprenant les notions de :
- Corps comme base pour les scalaires.
- Espaces vectoriels comme structures algébriques.
- Sous-espaces, combinaisons linéaires, indépendance linéaire, bases, et dimension.
vous serez bien préparés pour aborder les applications linéaires et les matrices dans les chapitres suivants. Ces concepts sont fondamentaux en algèbre linéaire et ont des applications étendues en mathématiques, physique, ingénierie, informatique, et bien d’autres domaines.